Les Mémoires de Gorpatch (1) > Différente !
Sélectionnée en février 2004, cette nouvelle apporte une vision originale du monde des Orques. Le parcours initiatique d'une jeune héroïne atypique, la description d'une société hyperviolente et une belle histoire d'amitié. Une nouvelle signée par Gorpatch :
Mes ancêtres
naquirent de la fiente de la terre, créés de la main du
vil Morgoth. Puis ils se multiplièrent comme toute autre race.
Mais il me plait et me rassure de penser qu'avant cela, ils furent des
elfes.
Guerriers
par la naissance, le combat et la violence sont, dit-on, dans notre nature.
Différente !
J'ai passé mon
enfance à me répéter cette phrase : « je suis
différente ! »
Mais je
suis une orque et me nomme Gorpatch Nastybloodybrain et ma mère était
Meshnak Stingbreath, guerrière cruelle, à ce qu'on m'a
conté, car je ne l'ai pas connue.
Je viens
d'une contrée loin à l'est de ces terres où les
tribus d'orques sont nombreuses et où font sans cesse rage non seulement
les guerres de races, mais également tribales.
Je n'ai
pas pu connaître Meshnak car elle fut mortellement frappée
lors de l'attaque d'une tribu ennemie venue du nord.
Elle était
alors grosse de triplés prêts à naître mais
je fus seule à survivre à la lame qui frappa ma mère,
qui me donna naissance en agonisant.
J'étais
cependant blessée à la tête, ce qui me valut plus
tard mon nom, car de mon crâne, une entaille faisait jaillir mon
sang noir d'orc.
Ceux de
ma tribu furent vaincus et les survivants furent emmenés captifs
pour servir, selon leur « inclinaison », de guerriers, d'esclaves,
ou de nourriture.
L'un d'eux,
me trouvant, voulut consommer sur place et sans partage : ma chair de
rejeton était encore tendre et je ne pouvais pas encore être
utile à autre chose.
J'ai su
toutes ces choses ainsi que bien d'autres grâce au vieux Krumtz
Blacktong, de ma tribu.
Il me conta
comment je n'eus la vie sauve que grâce à l'intervention
de celui-là même qui avait tué ma mère et
qui fit valoir ses droits sur ce qui était désormais sa
possession.
Il ne prononça
pas un mot : son épée parla pour lui et la tête de
l'autre roula.
C'était
Grimtakh Deathskull, un colosse dont la force n'avait d'égal que
la cruauté, et dont le nom seul faisait trembler bien au-delà de
ses propres frontières.
Pourtant
ce jour-là, il épargna ma jeune vie, devenant à la
fois mon sauveur et mon tortionnaire. Car je fus emmenée captive
et grandis parmi les esclaves dont Krumtz faisait partie.
Esclaves
ou guerriers, les orques ne vivent que pour la lutte et les combats à mort,
pour un simple quignon de pain, sont chose fréquente, même
parmi les enfants.
Seul les
plus vieux s'assagissent un peu mais rares sont ceux qui atteignent cet âge.
Krumtz était
de ceux-là et aimait parler. Et j'étais la seule qui aimait
l'écouter.
C'est sans
doute ce qui le poussa à me prendre sous sa protection en m'enseignant
tout ce qui pouvait m'aider à survivre le plus longtemps possible.
Grimtakh
aimait le plaisir et il choisissait souvent une femelle parmi les esclaves.
Après ses ébats, il organisait un festin et on ne voyait
jamais plus reparaître les « élues » Était-ce à cela
que je serais un jour destinée ?
Très
jeune déjà, je ne sais pourquoi, je me posais bien des
questions sur le comportement sanguinaire de mes semblables.
A cela,
Krumtz n'avait aucune réponse qui me satisfasse : c'était à ses
yeux un comportement normal.
Plus je
grandissais, plus mon aversion envers tout cela augmentait et je vis
des horreurs que je n'ose même pas vous relater.
Un jour
que le vieux Krumtz traînait à la besogne, je vis Grimtackh
l'égorger sans hésiter, me privant ainsi du seul ami que
j'avais jamais eu.
Mais les
choses changent et la vie prend parfois des tournants inattendus : j'étais
encore très jeune lorsqu'un jour, ce fut le tour de la tribu de
Grimtakh Deathskull d'être attaquée.
Une troupe
de nombreux elfes fondit sur le campement de mes tortionnaires avec, à leur
tête, un seigneur du nom de Gayahuam.
Ce dernier était
un noble combattant, et de sa brillante épée, il abattit
nombre d'orques de cette cruelle tribu. Mais au plus fort de la bataille,
Grimtakh le frappa en fourbe mortellement. Il y avait, parmi les combattants
elfes, une jeune femme qui, ayant vu tomber son seigneur, se précipita
sur lui.
Celui qui
venait de s'effondrer était son père, cela, je l'appris
bien des années plus tard.
Mais l'heure
n'était pas aux larmes et elle ramassa l'épée brillante
et se ruant sur Grimtakh, elle lui trancha la tête, vengeant ainsi
son père et me délivrant de mon bourreau.
Mais nous
autres esclaves n'étions pas moins orques et ennemis à leurs
yeux. De plus, j'avais toujours appris à me défier d'eux.
Ainsi, dans la débâcle qui suivit la mort de Grimtakh Deathskull,
je parvins à m'enfuir sous le couvert de la forêt.
Ainsi
commença ma longue et pénible errance.
Je souffrais
de la faim et parvins tout juste à survivre dans les montagnes
boisées si glacées du Nord et je n'aurais pas donné cher
de ma peau si je n'avais été recueillie par une troupe
de baladins qui me trouvèrent gisant sur leur chemin.
Ils n'eurent
pas peur d'une orc si jeune, sans force et dénutrie.
Ils me
prirent avec eux et je demeurais à leur côté bien
après mon rétablissement, allant avec eux de villages en
villages et participant aux représentations, jouant l'orc ou me
grimant en dragon.
J'appris
bien des choses à leur contact et surtout de Harast le poète,
leur chef, qui m'enseigna comme un père, son amour des mots et
de la connaissance, et de Mahana la belle, son épouse, qui me
transmit son savoir de la nature des êtres et des choses.
Ces amis précieux me révélèrent à moi-même
ma véritable nature qui n'était point de tuer mais de défendre
ce à quoi je tiens.
Les jours
s'écoulèrent heureux pendant quelques années jusqu'à ce
jour maudit où une horde d'orques fondit sur le village où nous étions,
rasant et tuant tout sur leur passage.
Je défendis alors mes amis tant que je pus et tuais nombre d'orques
mais ils étaient trop nombreux et je n'avais pas encore atteint
ma force d'adulte.
Je ne pus
sauver aucun de mes amis et les orques, bien trop nombreux, ne prirent
plus garde à moi.
Le chagrin
s'abattit sur moi ainsi qu'une haine grandissante envers mes semblables.
Je m'enfuis donc et commença alors pour moi une nouvelle errance.
Bien qu'étant
encore bien jeune, j'étais maintenant assez vigoureuse pour subvenir à mes
besoins. Je errais souvent dans la nature, étant chassée
de bien des villages, où on allait même jusqu'à me
lancer des pierres.
Mais le
temps passait et je devenais robuste. A vivre ainsi, mes sens s'étaient
aiguisés et ma méfiance accrue.
C'est alors
que je fis une rencontre qui allait marquer un grand tournant dans mon
existence en la personne d'un elfe d'un grand âge, doté d'une
grande sagesse et qui était connu sous le surnom de l'ermite,
car il vivait loin de tout et de tous, hormis quand il prenait à ses
côtés un apprenti car c'était un maître forgeron
et il avait été lui-même, à une époque
lointaine, l'élève d'un très grand maître
nommé Telchar. Mais il s'agit là d'un autre âge.
L'ermite
ne fut pas effrayé par mon apparence et plutôt que de brandir
une arme, il me questionna et sembla satisfait de mes réponses.
Maglam était son nom et son art était connu de loin et
les seigneurs des elfes et des hommes venaient de loin pour lui faire
commande.
Cependant, il n'acceptait pas toujours car il était las que ces
commandes ne soit que des objets guerriers et il préférait
transmettre son savoir. C'est ainsi que je devins sa nouvelle apprentie.
A ses côtés,
durant plusieurs années, j'appris à déceler les
plus rares filons que la roche cachait en son sein, la maîtrise
du feu et des alliages secrets qui font les plus solides métaux
et bien d'autres secrets qui donnent force à l'outil et à la
lame.
Nous autres,
femelles orques, n'avons que peu de différences avec nos semblables
masculins et nous possédons une grande force physique. Cela me
permit de manier avec aisance le marteau sur l'enclume. Maglam me traitait
en égal et à ses côtés j'appris également
la confiance.
Enfin,
après plusieurs années, le temps fut venu de nous séparer
et mon maître me fit alors présent d'un marteau qu'il avait
forgé pour moi.
« Ceci
est un marteau de tonnerre qui frappe et donne forme aux métaux
les plus durs. Il pourra aussi te défendre de tes ennemis car
son pouvoir est grand. »
Je nommai
le marteau Harast, en mémoire de mes amis baladins. Je fis mes
adieux à mon maître et partis à la recherche d'un
lieu où exercer mon nouveau savoir. Bien que l'on me toléra
plus qu'autrefois, on ne voulait pas de moi pour forgeron. Alors, je
repris la route encore et encore.
C'est ainsi
qu'un jour, je me retrouvai face à une jeune elfe aux allures
guerrière qui, sitôt qu'elle me vit, brandit vers moi sa
brillante lame.
Je reconnus
alors et la jeune fille et l'épée qui frappèrent
Grimtakh Dethskull et je contai alors mon histoire à l'elfe.
« Je
suis l'amie des elfes » lui dis-je enfin.
Elle décida
alors de me faire confiance et remit sa lame au fourreau, lame qui portait
le nom de Belegcirith et qui fut forgée voilà bien longtemps,
par Maglam lui-même.
La jeune
elfe portait le nom de Finwën. C'était une rôdeuse
et nous décidâmes de faire un bout de chemin ensemble. Nous
parcourûmes ainsi bien des lieues, tuant les orques sanguinaires
qui attaquaient les villages.
Car ils
sont aussi mes ennemis. Et, bien que je sois à leur semblance,
je suis Gorpatch et je suis...
...différente.
Extrait de La Biographie de Gorpatch.
Texte : Gorpatch.
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© Alan Lee