Les Archives de Gondor » Tolkien & le Cycle de l'Anneau » Essais » L'onomastique dans l'œuvre de Tolkien (2/3)
Essais

L'importance des noms dans l'œuvre de Tolkien (2/3)

Par Eleglin (Y.H.)
mise à jour : 04.08.2008

Plan de l'article

 Aller à la page: [1], [2], [3]

2 - L'onomastique externe

A - Une origine interne et une origine externe des noms

Les noms de Tolkien sont intéressants à étudier pour leur étymologie "interne", celle qui renvoie directement aux langues de Tolkien, parce que cela donne notamment un domaine d'application pratique aux langues de Tolkien.
L'étymologie "externe", qui renvoie aux langues naturelles, a un intérêt essentiel également et ouvre des perspectives intéressantes. D'une part, cela nous montre des sens cachés à travers les noms utilisés par Tolkien, mais cela nous rappelle aussi que l'Histoire de la Terre du Milieu a été construite comme un récit des temps anciens, avec un désir de vraisemblance et des liens avec la réalité.

L'étude interne n'a pas d'intérêt à être refaite. Il y a de nombreux sites et auteurs beaucoup plus spécialisés qui s'y entendent très bien et qui ont passé de nombreuses heures à décortiquer les écrits linguistiques de Tolkien - quitte à faire des suppositions. Les seules sources vraiment fiables en la matières sont les textes du maître :
The Lost Road and Other Writings. (The HoMe, V) : Lhammas, Etymologies, The List of Names.
Morgoth's Ring. (The HoMe, X).
The War of the Jewels. (The HoMe, XI) : Essekanta Eldarinwa.
Le Silmarillion : Appendices.

B - Procédés généraux concernant la construction des noms à partir d'une influence extérieure

Il existe divers procédés par lesquels Tolkien créait les noms de ses personnages, en s'inspirant de noms existants dans la réalité.

1 - à partir de racines anciennes
exemple : Shelob (=Arachne) : en vieil anglais lob signifie araignée et d'où she-lob, « araignée femelle ».

2 - à partir de noms tirés de textes séculaires.
exemple : Gandalf vient d'une liste de noms de nains dans un poème. en vieux norrois, l'Edda poétique - tout comme les noms des nains qui apparaissent dans Bilbo. Il convenait parfaitement au personnage du sage en raison de sa signification en islandais, « sorcier-elfe », d'où magicien.

3 - à partir de noms plus modernes.
exemple : Sam Gamgee est une allusion au Dr Samuel Gamgee, inventeur du pansement "Coton Gamgee". Pensez à la femme de Sam, Rosie Cotton.

Quelques exemples :
- Sauron vient d'un mot de vieux norrois signifiant « détestable » ou « abominable ».
- Saruman est issu du vieil anglais searu (« rusé » ou « retors »)
- Baggins (= Sacquet) pourrait provenir d'un argot anglais bagging, « la collation », préoccupation essentielle des Hobbits...

C - Les limites de cette étude externe et les recommandations pour une étude sérieuse

L'étude d'une origine externe est intéressante car elle met en lumière certains sens "cachés", révèlent des traits de caractère pour les personnages. Toutefois, c'est un travail de longue haleine qui semble demander une grande rigueur, de la méthode, et des connaissances conséquentes en linguistique.
Reprenons l'exemple de Galadriel et recherchons quelles racines authentiques auraient pu inspirer Tolkien. Notre but sera de démontrer la complexité mais aussi l'intérêt de cette recherche.

En étudiant l'étymologie interne de Galadriel, nous avons précisé précédemment qu'il était une traduction en sindarin du telerin Alatáriel, dans lequel on retrouve alata « rayonnement » (sindarin galad). Intéressons-nous à galad dont la racine est KAL- (GAL-) et qui signifie « briller ».

On pourrait très bien supposer que Tolkien se soit inspiré du nom du personnage Galahad pour cette racine.[1] Il y aurait plusieurs éléments en faveur de cette hypothèse :
— Galahad est un personnage qui apparaît dans la légende du Graal : Galahad est le fils de Lancelot et de Elaine, fille du roi Pelles. De par Lancelot, il descend de Joseph d'Arimathie, celui qui a ramené le Graal en Bretagne, ce qui fait donc de Galahad, le candidat idéal pour la Quête du Graal qu'il entreprendra plus tard et réussira car il a le cœur pur, contrairement à son père. Tolkien connaissait parfaitement cette légende et il serait donc possible que ce personnage lumineux lui ait inspiré cette racine.
— Un peu plus subtil, on retrouverait une association entre Galadriel et le Roi Pêcheur, ce qui renvoie encore une fois au mythe du Graal et irait en faveur de notre hypothèse. Dans l'image du Roi Pêcheur qui, malade, perd ses pouvoirs et ne peut protéger ses terres, on retrouve l'image de Galadriel. La Lórien perdra en effet sa protection lorsque la figure royale de Galadriel sera dépossédée de la puissance protectrice que lui conférait l'anneau Nenya. Sur ce sujet, le poème de Galadriel en quenya est tout à fait significatif. Le vers Si man i yulma nin enquatuva ? (signifiant « Qui maintenant pour nous remplira les coupes ? ») pourrait être rapproché de la question mythique qu'aurait dû poser Perceval à propos du Graal dans le Château du Roi Pécheur (à qui le sert-on?) toutes deux liées au respect de la fonction royale. Ceci irait en faveur d'un lien entre Galadriel et la Quête du Graal et éventuellement de la figure de Galahad.

Bien sûr, lier l'étymologie de Galadriel à Galahad reste malheureusement hypothétique, ceci n'étant pas confirmé par les écrits de Tolkien (du moins pas à ma connaissance).

Une façon de raisonner qui permettrait de faire un parallèle avec plus de certitude serait de retrouver les origines étymologiques de Galahad, et ce jusqu'au niveau le plus ancien connu (ou en tout cas reconstitué), c'est à dire l'indo-européen et de les comparer à la racine imaginaire KAL-.

Imaginez ce travail répété pour tous les noms de quenya et de sindarin, ainsi que toutes les autres langues, et vous verrez l'aspect titanesque de cette entreprise qui nécessite une bonne maîtrise tant des mythes que des processus linguistiques pour éviter de relier des choses qui n'auraient finalement rien à voir entre elles.

La chose n'est pas impossible quand le lien entre la langue imaginaire et la langue réelle est clairement établi (comme pour le rohanais et le vieil anglais), ou quand l'auteur donne suffisamment de données pour pouvoir reconstituer ces liens, ou mieux encore, quand Tolkien révèle lui-même les origines de ses noms.
Toutefois, quand on aborde les langues elfiques, on commence à s'avancer en "terre brûlée" car Tolkien ne nous a laissé que peu d'indices, et parce que les langues elfiques sont plus éloignées des langues naturelles.

Nous recommanderons donc trois attitudes à adopter dans l'étude de l'origine externe des noms :
— Pour les origines confirmées par Tolkien, il sera intéressant de s'y attarder pour comprendre comment l'onomastique s'intègre au processus littéraire de Tolkien.
— Pour les origines supposées mais qui semblent étayées par des racines de sens très proches, on pourra également s'y intéresser, tout en gardant à l'esprit que ce ne sont que des suppositions. Il faudra bien sûr prendre garde aux associations fallacieuses et se limiter aux langues et mythes qui étaient connus de Tolkien et donc susceptibles de l'influencer.
— En revanche, pour les origines supposées qui n'ont pas ou peu d'éléments infirmant ou confirmant ces hypothèses, nous recommanderons une grande prudence. Toutefois, cette étude n'est pas tout à fait inintéressante, car ces suppositions révèlent une partie de notre interprétation personnelle de l'œuvre et traduisent nos associations d'idées à travers des associations de noms. Ce qui peut être une façon concrète d'exprimer sa lecture personnelle.

Pour conclure, il est préférable d'appliquer un raisonnement en deux temps qui lierait l'étude de l'origine interne et de l'origine externe :
— Décomposer le nom imaginaire et rechercher sa racine et son étymologie dans le cadre des langues imaginaires.
— Rechercher quel nom ou quelle racine réelle auraient pu inspirer Tolkien.
... et surtout justifier son point de vue par des éléments probants et garder une méthodologie logique, ainsi qu'une certaine neutralité.

D - Quelques exemples à travers les noms des Rohirrim et des Hobbits

1 - Les noms des Rohirrim.

Le lien entre le rohanais et le vieil anglais n'est plus à prouver ; en effet, le rohanais et l'occidentalien ont le même lien de parenté entre eux que l'anglais et la vieil anglais. L'occidentalien est traduit par l'anglais, le rohanais est donc traduit par le vieil anglais. Mais parfois ceci peut avoir un sens caché assez intéressant du point de vue de l'histoire elle-même.

Lorsqu'Éowyn se mêle aux guerriers pour partir au combat, elle prend le nom de Dernhelm et cache sa féminité derrière un heaume. Lorsqu'elle le retire face au Nazgûl, Tolkien écrit qu'elle enlève "le casque de son secret". Il y a en fait un jeu de mot pour un lecteur averti. En effet, on se rend compte que le nom d'emprunt d'Éowyn se compose des termes dern, qui signifie « caché, secret », et helm (resté en anglais moderne), le casque ou le heaume. Donc son nom signifie « cachée par un heaume ».

Le nom de Théoden, quant à lui, est composé de l'élément theod qui signifie « la tribu, le peuple, le royaume ». Littérallement Théoden est celui qui incarne le royaume, et qui donc est son chef.

Enfin dans le nom de Thengel, on retrouve la racine thengn qui désigne un noble guerrier au sens de chevalier. À noter que si on le traduisait littéralement, Théoden fils de Thengel donnerait « roi fils de roi ».

NdA : Contribution de Cayadûnel et de Beren concernant les noms des Rohirrim.

2 - Les noms des Hobbits [2]

Si de nombreux prénoms des jeunes Hobbits n'ont aucun sens dans leur langue imaginaire, l'étude de leur création et des noms ayant influencé leur genèse révèle des aspects humoristiques et poétiques et souvent donne une représentation du destin des personnages.

Gerontius, est un nom qui vient du grec gerôn/gerontos qui signifie « vieillard ». Le personnage est surnommé "le Vieux Touque" à cause de sa longévité.

Le nom de Frodo, quant à lui, est issu un mot de vieil anglais fród qui signifie « sage, prudent » ou freodo « paix, sécurité ». Fródi, en vieux norrois, est mentionné dans Beowulf, et désigne aussi un roi d'une saga nordique. Pacificateur, ce dernier serait à l'origine d'un âge d'or portant le nom de « paix de Fródi ». Frodo est donc celui tente d'établir la paix...

Frodo et Sam © John Howe

Notes

1. Comparaison entre Galadriel et le Roi Pêcheur, d'après le mémoire de Laurent Allibert, dans sa partie consacrée éléments indo-européens en Arda, parmi lesquels « Le Gaste Pays » et la figure souveraine. (cf JRRVF)

2. Pour plus d'informations quant aux origines des noms des Hobbits, nous vous recommandons la lecture d'un essai de Jean Rodolphe « Isengar » Turlin pour JRRVF. Essai consultable via ce lien

Bibliographie :

  • Le Seigneur des Anneaux, par J.R.R. Tolkien. (rassemblant les tomes I, II, III, appendices et annexes) Christian Bourgois Éditeur, 1995 ( première édition française : 1972).
  • Le Silmarillion, par J.R.R. Tolkien. Christian Bourgois Éditeur, 1978 ( réed 1993 ) ; Presses Pocket, 1984.
  • Contes et Légendes Inachevés, par J.R.R. Tolkien. Christian Bourgois Éditeur, 1982 (réed 1993) ; Presses Pocket, 1988.
  • Faeries Hors série 1, Nestiveqnen Éditions, 2002, ISSN : 1625-8223.
    • Les Langues de Tolkien, par Sébastien Bertho.
  • Les Mondes Magiques du Seigneur des Anneaux, par David Colbert, HarperCollins, 2002 ( le Pré aux Clercs pour la traduction française, 2004 ).
    • D'où viennent tous ces noms ?
  • Imaginaire médiéval et mythologique dans l'ouvre de Tolkien, par Laurent Alibert. Mémoire soutenu à Paris X Nanterre, sous la direction du professeur A. Strubel. (cf JRRVF)
  • Les prénoms des Hobbits, par Jean Rodolphe « Isengar » Turlin (cf Hiswelókë)